C’est dans la déclaration universelle des droits de l’homme qu’il faut retrouver des fondamentaux de notre sujet, dans trois de ses articles. Son article 3 dispose que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». L’article 25, alinea 1, abolit les barrières et prône l’égalité d’accès : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille ». Enfin, en disposant que « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale », l’article 22 nous rappelle qu’en France, les dépenses de santé sont une affaire de solidarité nationale, dont les recettes viennent pour partie des cotisations salariales, et qu’il s’agit d’une assurance avec une notion de couverture universelle.
Le maintien de la vie est le fruit d’une somme de processus qui sont infiniment complexes, qui s’activent de manière autonome en réponse à des sollicitations de leur environnement et sont sous contrôle.
La vie est un don de la nature. Le maintien de la vie est le fruit d’une somme de processus qui sont infiniment complexes, qui s’activent de manière autonome en réponse à des sollicitations de leur environnement et sont sous contrôle. Le corps humain est un système ouvert, au sens où il échange de la matière, mais aussi de l’énergie et de l’information avec son environnement. Mais ce qui frappe, c’est qu’il est un système homéostatique, c’est-à-dire qu’il est nativement muni de ses capacités d’autorégulation. La fièvre n’est qu’un moyen d’alerte et de régulation d’une croissance de la température au-dessus de sa valeur optimale de 37°, par exemple. La nature est bien faite.
Ce système est encore aujourd’hui mystérieux, peu visible. Il est à l’intérieur de notre enveloppe corporelle. Cela fait fantasmer l’Homme depuis longtemps, entre chien et loup parce qu’il ne peut distinguer que peu de choses dans sa condition humaine. La mécanique est réglée jusqu’à l’infiniment petit, peu observable à l’œil nu. Les codes de la transmission génétique sont enfouis dans notre ADN. Le monde du cinéma s’est déjà emparé de ces sentiments contrastés entre Homme et santé. L’imagination de Jules Verne y a fait florès. Le voyage au centre du corps humain a ainsi été mis en scène par Hollywood, en 1966, dans Le voyage fantastique par Richard Fleisher. Plus récemment, c’est la WebTV de la Cité des sciences et du Palais de la découverte à Paris qui propose une série de capsules vidéo à vocation éducative, créée par des chercheurs de l’Inserm et basée sur la même trame d’un voyage intérieur qui serait physiquement possible. Sur le fond, il s’agit de promouvoir les nanotechnologies [1]. Et, en 2021, ce n’est plus irréaliste. On maîtrise la matière à 10-9 m, la distance qui sépare deux atomes. Ce faisant, on peut aujourd’hui construire des nanorobots pour faire des interventions spécialisées in vivo et in situ [2].
Les actions d'observer, comprendre, diagnostiquer et prescrire ne sont pas si éloignées de ce que je demande à mon garagiste lorsqu’il doit réparer ma voiture.
Un jour, un chercheur de l’Université de Bordeaux, avec qui nous devisions sur cette progression incroyable de la science médicale, m’a interpellé. Sa pensée posait le principe que le système de santé a pour mission le bien-être des individus (en préventif comme en curatif). Dans la réalité des faits, c’est une organisation qui déploie l’essentiel de ses activités sur la production de soins pour des personnes atteintes de maladies. Son questionnement était le suivant : « avec notre culture de chercheurs en sciences pour l’ingénieur, est-il exagéré de dire que son rôle est d’assurer un maintien de la vie, c’est à dire que les services offerts sont des activités de maintenance du corps humain afin de garantir son bon fonctionnement ? ». D’abord troublé par cette vision un peu réductrice de la pensée de mon collègue et ami face à l’image noble que je me faisais des acteurs de la santé, j’ai vite dépassé ce blocage psychologique pour revenir à la raison. Les actions d'observer, comprendre, diagnostiquer et prescrire ne sont pas si éloignées de ce que je demande à mon garagiste lorsqu’il doit réparer ma voiture. Mais c’est troublant.
Evidemment, les enjeux ne sont pas comparables, ce système vivant est critique, on ne badine pas avec la vie. Et cette criticité se traduit par des exigences fortes : la validation des moyens d’intervention, le contrôle des compétences pour pouvoir exercer, l’efficacité de l’organisation à qui l’on confie ces missions, le modèle économique qui est appliqué. En cela, il y a des similitudes avec les mesures prises dans d’autres secteurs où les systèmes sont critiques : véhicule autonome, vol spatial embarqué ou encore arme nucléaire.
Cette criticité se traduit par des exigences fortes : la validation des moyens d’intervention, le contrôle des compétences pour pouvoir exercer, l’efficacité de l’organisation à qui l’on confie ces missions, le modèle économique qui est appliqué.
Et l’innovation pour une bonne maintenance va bon train. Avec le développement des organes artificiels, du transhumanisme ou des simulateurs du corps humain, la recherche scientifique élimine régulièrement des frontières entre possible et impossible. Les rapports entre l’Homme et sa santé sont à revisiter.
Ce caractère critique a aussi une déclinaison sociale. Le système de santé est régulé. Nous avons en France un code de la Santé publique. Nous sommes membres de l’OMS pour tout ce qui relève de l’international. Nous avons tendance à nous plaindre de la lenteur induite par le poids des réglementations, surtout quand il s’agit d’innover. C’est un fait. Si le Pr Louis Lareng n’avait pas enfreint la loi en prenant son véhicule pour aller sur site sauver un individu en situation d’urgence en 1967 (amener "le médecin au pied de l'arbre" selon les termes du pionnier de la médecine d'urgence), en tant que soignant du CHU de Toulouse, la création du SAMU aurait été retardée. En la matière, la fin justifie souvent les moyens. Prendre des risques fait parfois bouger les lignes parce que la vie est une valeur supérieure.
Finalement, dans ce rapport entre l’Homme et sa santé, prenons soin (sic) de ne pas oublier la place du citoyen/usager/patient. Cette place ne se discute pas. Avec l’invention des parcours, l’intelligence artificielle, la mise en réseau des acteurs, le développement du numérique, l’organisation mute et les pratiques usuelles de l’Homme dans le système de santé changent. Les parcours font entrer dans une nouvelle vision opérationnelle de la prise en charge, sur un horizon de temps conséquent, nouvelle exigence de la nécessaire excellence qu’il est en droit de réclamer. Qu’ils soient de vie, de santé ou de soins, les parcours forment un nouveau paradigme bouleversant le modèle « dominant-sachant » versus « dominé-profane » de la médecine traditionnelle. Le système devrait s’adapter aux attentes de l’Homme et personnaliser l’exercice de la médecine en coconstruisant ses réponses dans ce nouveau chaudron magique.
Voici donc pourquoi, convaincus qu’il y a tant à dire et à débattre, nous vous invitons à échanger grâce à ce petit coin de Web qui va servir à cela.
Bonne lecture.
Pr. Hervé PINGAUD
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